Depuis 2011, je partage ma vie politique entre la sphère européenne verte et la politique nationale française, et c’est une expérience formidable. Dès les premiers jours, représentante d’EELV au Parti Vert Européen, j’ai été convaincue que c’était l’espace politique qui faisait sens pour moi, pour nous.
Des discussions avec les député·e·s européen·ne·s aux missions effectuées dans des pays où l’écologie est fragile (Italie, Portugal, Pologne), à travers l’organisation des conseils du PVE ou le travail de soutien aux petits partis verts, j’ai tellement appris et rencontré tant de citoyen·ne·s écologistes courageux. Les pollutions graves et de diverses natures du fleuve Tage côté portugais, les menaces sur la forêt primaire polonaise Bialowieza, la disparition des terres agricoles, montagnardes ou des littoraux, ont partout les mêmes causes (lobbying et profit des intérêts des multinationales) et les mêmes conséquences (précarité et problèmes de santé pour les populations, atteintes irréversibles à la nature).
C’est pourquoi aujourd’hui, le mandat de députée européenne est le seul que je souhaite exercer. Pour oeuvrer tout autant à l’intérêt général des citoyen·ne·s français qu’à celui des citoyen·ne·s espagnols ou roumains. Avec ces liens établis dans une vingtaine de pays, cette compréhension maintenant fine des enjeux et une idée claire du chemin que nous devons prendre, je sais que c’est là où je pourrais être le plus utile désormais. Mon parcours et mon vécu d’élue municipale d’opposition et régionale en majorité est un socle sur lequel je m’appuie pour agir.
J’inscris cette candidature dans une dynamique collective, sans concession sur la radicalité des solutions environnementales, sociales, démocratiques, éthiques. Je veux mener, avec vous, une campagne qui bouscule le débat sur l’Europe. Mais qui réaffirme ce projet audacieux de solidarité entre les peuples. Une campagne pour (re)créer un désir d’écologie politique et d’Europe.
Le diagnostic est connu, nous l’avons fait mille fois : cette Union européenne, conçue principalement autour d’un marché commun, dysfonctionne. La problématique d’une monnaie unique qui n’est pas adossée à une gouvernance économique, partagée au niveau communautaire, induit des déséquilibres entre les pays membres et met aujourd’hui des sociétés entières en situation de précarité, pendant que les choix de l’économie allemande, exportatrice au détriment des autres, fait peser sur ses partenaires les conséquences de sa modération salariale et de son austérité passée. Sans politique économique et sociale commune, il est compréhensible de parfois douter.
Mais il ne faudrait pas, sous prétexte de critiquer les errements actuels du projet européen, réduire encore les compétences régaliennes et les perspectives politiques de long terme pour ne voir persister que la brutalité des obligations monétaires et la simple réalité des échanges économiques.
L’ombre du Brexit raté nous rappelle que nos économies sont tellement interconnectées qu’elles ne peuvent être que très difficilement dissociées. Climat, évasion fiscale, migrations, ces politiques publiques doivent être pensées de manière planétaire, a minima européenne.
Surtout croire encore à l’Europe, et à la promesse émancipatrice d’un projet multi-frontières, constitue une nécessité humaniste primordiale. L’histoire fondatrice de l’Union européenne est celle d’un consentement mutuel à la paix entre nations soeurs ennemies. Ce fondement mythique a été galvaudé, il n’en reste pas moins essentiel. Je suis convaincue qu’à chaque fois que nous reculons sur la bataille de l’altérité et de la fraternité, nous faisons régresser durablement nos sociétés. Tous les travaux sur les questions de racisme et de migrations le montrent : plus on rencontre l’autre, plus on est mis en contact avec la différence, plus on est en capacité d’accepter l’altérité dans toutes ses formes. Renoncer aujourd’hui au projet européen, c’est accepter pour nos enfants, le retour à un schéma mental où la vie se pense dans un territoire contraint donné, aux références historiques nationales limitées.
L’Europe de 2016-2018 est devenu un terrain général de luttes civilisationnelles éminemment risquées où le retour réactionnaire aux références religieuses et l’évocation de la suprématie occidentale s’accommodent fort bien d’un ultra-libéralisme productiviste, destructeur des êtres et de la planète. Le migrant n’est pas seulement rejeté ; il a, dans certains discours, vocation à mourir.
Ce refus de l’autre venu d’ailleurs s’accompagne d’un effacement plus large de la différence, et de la crainte d’une société fluide où on peut changer de sexe, de classe sociale, de religion, d’apparence. De même, le corps de la femme reste un véritable signifiant politique et symbolique. A travers son contrôle, les forces conservatrices impriment leur marque aux sociétés qu’elles veulent gouverner, et mettent en scène le projet de société qu’elle défende, assis sur des valeurs d’ordre et morale, qui assigne à chacun une place dont il ne doit pas bouger.
La revendication d’une Europe ouverte et féministe doit être un élément fort de notre campagne européenne, et de notre travail pendant les cinq ans de mandat. Il ne s’agit pas seulement du droit des migrants, des femmes, ou des LGBT. Il s’agit bien, ne nous y trompons pas, d’une vraie bataille culturelle pour une Europe des droits et des libertés, de l’émancipation et du bien vivre, de la pluralité et du mélange entre les cultures.
La volonté des député·e·s écologistes Verts de démocratiser les institutions européennes est ancienne, déterminée et fait notre fierté. Travail parlementaire rigoureux, interpellation aux côtés des citoyen·ne·s, exigence de transparence, pratique éthique du mandat, notre histoire témoigne de notre capacité à batailler et à obtenir des victoires pour la démocratie dans le cadre actuel des traités. Aujourd’hui, il me semble qu’il nous faudra convaincre du besoin d’un sursaut supplémentaire, et aider à la coordination de celles et ceux, associations, politiques et citoyen·ne·s, qui sont prêts à bousculer les élites européennes frileuses. La peur du démantèlement progressif de l’Union ne doit pas devenir un handicap pour la démocratie en nous contraignant à l’immobilisme par peur des effets du Brexit ou de l’orbanisation des politiques à l’Est. Il faut faire vivre l’idée d’une Constituante dans le débat français, continuer à défendre le principe des listes transnationales et agir pour une publicisation des décisions de nos gouvernements au sein du Conseil.
Refonder le projet européen conditionne sa survie, et c’est de notre responsabilité que cela le soit autour d’un projet écologiste. Les communications de l’Union Européenne, grisée par les mots de compétitivité, de croissance et d’innovation technologique, doivent nous faire réagir. Les notions de bien commun, de sobriété, de respect du vivant sont absentes de la logique communautaire. Et si la technicité des politiques environnementales permet souvent à l’Europe d’être un rempart contre les reculs nationaux en matière d’énergie, de pollution et de biodiversité, l’épuisement des ressources et les changements climatiques sont encore bien trop perçus comme secondaires face aux impératifs économiques.
Nous avons un atout considérable dans l’Union européenne, c’est la solidité et la cohérence de notre famille verte européenne. Nos différences de systèmes institutionnels et notre diversité culturelle n’empêchent pas un travail commun fructueux pour agir ensemble au sein du groupe au Parlement. Les Grünen ont été les premiers à oser contester le dogme de l’austérité dans le débat allemand dès 2013, puis à défendre le gouvernement grec à rebours de l’opinion publique majoritaire du pays. Aujourd’hui, nous devons travailler avec nos amis allemands pour aborder ensemble la difficile question de l’impact de l’économie allemande comme nous devons critiquer ouvertement ensemble l’Etat français égoïste qui accueille si peu de migrants. De même, la discussion n’est pas aisée avec certains de nos amis nordiques légitiment inquiets d’une possible dégradation de leur système social : pourtant il est indispensable d’imaginer une protection sociale européenne, un salaire minimum, un premier schéma d’assurance chômage commun,
Pendant le mandat 2009-2014, les eurodéputé·e·s EELV ont réussi à faire de la lutte contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes un enjeu européen. 2019-2024 doit voir le dossier du Lyon-Turin devenir prioritaire pour les écologistes : un tunnel de 57,5 kilomètres totalement inutile à creuser dans la montagne, aux appels d’offre gangrénés par les conflits d’intérêts et les soupçons de collusion avec la mafia. Ce fantasme productiviste de la fin du 20ème siècle, et ses 26 milliards d’euros, obèrerait toute capacité de financer d’autres moyens de transports indispensables.
Très attachée à l’outil parti et aux formes d’organisation collective qui soutiennent et qui obligent à penser le « nous », je ne saurais travailler autrement. Formée à « l’école politique grenobloise » qui impose aux élu·e·s la nécessité de ne rien voter sans être informé, de ne rien décider en dehors du groupe, et de toujours retourner vers les citoyen·ne·s, j’ai gardé cette éthique de travail politique depuis. Je ne conçois pas l’exercice du mandat sans respect des militant·e·s, de ce qui a été transmis, de ce qui a été financé, de ceux qui ont fait campagne.
L’Europe entre dans une période trouble. Pour que le Vert puisse faire vaciller le Brun, nous devrons être clairvoyant·e·s et agir soudé·e·s. Avec votre soutien, j’agirai en ce sens.
Saint-Hilaire,
Le 24 juin 2018
Gwendoline Delbos-Corfield